Les bronzes chinois occupent une place toute particulaire dans l'histoire de la civilisation et de la culture chinoise. En effet, de par leur origine lointaine (plus de deux mille ans), ils témoignent du savoir-faire des Chinois en la matière. Ils offrent une gamme de formes d'une grande diversité dont la valeur archéologique est inestimable. Outre l'aspect scientifique, ce sont aussi des œuvres d'art qui atteignent la perfection.
Le bronze est un alliage de cuivre et d'étain, auquel est ajouté une petite quantité de plomb. Son apparition marque la fin de l'âge de pierre et le début de l'âge du feu.
En effet, le cuivre existe à l'état natif. Il est malléable, ductile, et peut donc être façonné à discrétion, à force de martelage. Une fois fondu, le cuivre peut être moulé et donner naissance à des objets de formes variées. La longue expérience des Chinois d'antan dans la fonte du cuivre (de couleur rouge pâle à cause des impuretés), couplée à l'ajout d'une proportion d'étain permettait d'améliorer la métallurgie du cuivre.
L'étain permettait d'abaisser le point de fusion du cuivre et augmentait son degré de dureté. Cet alliage de cuivre et d'étain prit le nom d'airain, puis de bronze.
L'apparition du bronze marque un tournant majeur dans l'histoire de l'humanité. Parce qu'il pouvait être moulé et donc servir à produire des objets sur une grande échelle, son usage s'imposa de plus en plus. Jusqu'ici, les hommes d'antan n'utilisaient que les instruments en pierre. Ce progrès augmenta considérablement la productivité et joua un rôle important dans l'évolution de la civilisation. Toutes les anciennes civilisations comme celle de la Chine sont passées par ce stade où le bronze servait à la fabrication d'outils et d'ustensiles.
L'usage du bronze permit la fabrication d'outils qui vont permettrent de construire des habitations, d'irriguer l'eau, de construire des routes, et aussi de livrer bataille contre les envahisseurs.
Le bronze chinois (et donc de la civilisation chinoise) trouve son origine dans la plaine alluviale arrosée par le fleuve Jaune (le fameux Huanghe) qui se trouve principalement au cœur même de la terre de Chine centrale. Cf. les données historiques sur ce site.
Pendant près de deux mille ans, du XVIIe siècle avant Jésus-Christ à la dynastie Han (206 av. J.-C. - 22 apr. J.-C.), les Chinois utilisèrent du bronze rare et précieux pour fondre de grandes quantités de vases rituels, d'instruments de musique et d'armes qui étaient élégants et finement décorés, et qui comportaient des inscriptions en caractères chinois. Ces objets témoignent de l'accomplissement artistique de la Chine antique et prouvent que les Chinois ont su très tôt employer avec ingéniosité les ressources naturelles dont ils disposaient pour cristalliser science et art dans leurs œuvres.
Si on considère que le travail du bronze a démarré à l'époque des Dynastie Xia et le début de celle des Shang, c'est vers le milieu et la fin de cette dernière dynastie que l'art du bronze atteint ses sommets. Par la suite, les bronzes occupent une place importante tout au long de l'histoire chinoise. Les objets en bronze étaient largement répandus dans la vie courante, même à l'époque des Royaumes Combattants (475-221 av. J.-C.) des Qin et des Hans (221 av. J.-C.), où l'usage du fer s'est généralisé. Les techniques de fabrication des bronzes continuaient de progresser.
Les bronzes chinois émerveillent, aussi bien par leur nombre (plus de 7000 pièces avant la dynastie des Qin) que par leur variété et la multiplicité de leur usage. Ceux qui commencent à s'initier aux bronzes trouvent souvent compliqués et difficiles à mémoriser les caractères de leurs noms. La raison en est que les noms des bronzes chinois sont définis d'après leurs appellations originales dont certaines, courantes pour les hommes d'alors, ont disparu du vocabulaire moderne.
Par soucis de compréhension, nous allons vous présenter les règles de dénomination des bronzes antiques, ainsi que leur noms et usages.
Les bronzes chinois peuvent être classés en dix catégories : les objets rituels (classés en quatre catégories, pour la cuisson, la présentation ou la conservation de nourriture, le vin et l'eau), les instruments de musique, les pièces de harnais, les armes, les outils, les appareils de mesure et les objets utilitaires divers.
Au sein de chaque catégorie, on peut trouver une variété infinie de formes et de motifs qui montrent pleinement l'imagination et la créativité des Chinois de l'époque :
- Les Ding étaient destinés à la cuisson (de la viande notamment), et comportait une paire d'anses sur les bords pour en faciliter le maniement. Certains ont trois pieds (tripode) de forme ronde, d'autres en ont quatre de forme carrée, et sont pourvus ou non d'un couvercle. Le tripode ding possède trois pieds qui soutiennent l'ustensile à une distance appropriée par rapport au feu pour la cuisson de la viande. Il en existe de différentes tailles, de quelques centimètres à plus d'un mètre de hauteur (pouvant cuire des bœufs et des cerfs entiers) avec ou non une inscription de caractères chinois. Les ding en série (lie ding) forment un ensemble de tripodes rangés dans un ordre décroissant de taille. Leur nombre indiquait alors le rang social du propriétaire. L'Empereur (donc le fils du Ciel) en possédait de neuf jusqu'à douze, tous les autres nobles devaient obligatoirement en posséder moins que lui (en fonction du rang qu'ils occupaient)
- Les Gui servaient à présenter le riz, le mil et d'autres aliments. Ils pouvaient apparaître en de nombreux styles différents équivalents aux récipients à riz contemporains. Certains avaient une base circulaire pour stabiliser la panse, d'autres avaient une lourde base carrée ajoutée à la base circulaire pour créer un contraste élégant entre les deux formes. Là aussi, il en existe de très grande taille (le plus grand jamais fabriqué a une hauteur de 59cm et pèse 60 kg).
- Les Jue ou vases à vin offrent une étonnante variété de formes. Ce sont des ustensiles spécialement employés pour réchauffer et boire le vin (ou autre breuvage): il avait un bec verseur et une anse de côté, ainsi que trois pieds qui permettaient de réchauffer facilement le vin (breuvages) sur un foyer. C'est pourquoi la partie inférieure qui recevait la flamme était conçue pour capter rapidement la chaleur. De nombreuses coupes étaient vidées lors des discussions d'affaires.
- Les Zun était le type principal de récipient destiné à conserver du vin et pouvait être soit de forme ronde, soit de forme carrée, ou bien avoir une embouchure ronde et une base carrée. Les récipients à vin, zun, servaient à honorer des hôtes à qui l'on voulait témoigner des marques de respect (le mot « zun » en chinois signifie « respect »). Dans l'antiquité chinoise, il existait de nombreux récipients à vin zoomorphes représentant hiboux, bœufs, rhinocéros, éléphants, ou autres. Ces animaux avaient souvent une connotation fabuleuse. Ce genre d'objets était généralement appelé zun.
Les bronzes anciens faisaient ressortir l'équilibre et la symétrie de la forme pour accentuer leur caractère cérémoniel.
Dans la société ritualiste de la Chine antique, le bronze était principalement employé pour fondre la vaisselle cérémonielle que l'on utilisait dans les sacrifices dédiés aux dieux du ciel, de la terre, des montagnes et des rivières. Cette vaisselle était également utilisée dans les banquets, offerte en récompense, et servait dans les funérailles pour la noblesse (conçus spécialement pour servir d'objets funéraires enterrés avec le défunt).
Les bronzes rituels ne pouvaient donc pas servir dans les circonstances ordinaires de la vie quotidienne. Comme le bronze est un matériau durable et résistant, il était utilisé par les rois pour couler des vases en l'honneur des ancêtres des ducs, princes et ministres qui avaient apporté une grande contribution au pays ou au souverain, afin d'établir un modèle ou un souvenir pour les générations futures.
Par la suite, et au fur et à mesure des dynasties, les bronzes furent regardés comme des symboles de bonne fortune.
Motifs apparaissant sur les bronzes chinois
Dans la plupart des dessins utilisés sur les bronzes, on trouve un motif principal dont le caractère tridimensionnel est rehaussé par un dessin de fond.
Les « nuages stylisés », motifs les plus courants, procédaient des empreintes digitales laissées par les potiers sur leurs œuvres, donnant naissance progressivement à ce style aux motifs en cercles concentriques ou spiralés. Des motifs de mamelons ou en lanière triangulaire retrouvés sur des bronzes appartenant à la culture d'Erlitou avaient déjà été relevés sur des poteries de la culture de Longshan, vieille de quatre millénaires.
Les masques de Tao Tie, autrement dit motifs animaliers, figurent parmi les plus répandus.
D'un point de vue général, les motifs sur bronze des Shang sont caractérisés par un style mystique et hiératique. A l'époque, on vouait un culte primitif aux ancêtres ; le roi des Shang tenait le peuple chinois soumis en s'appuyant sur son pouvoir religieux. Cette puissance de mysticité se retrouve dans les motifs mêmes des bronzes.
Les masques de Tao Tie avaient eux-mêmes un caractère mystique très prononcé. C'est un motif symbolique, utilisé il y a trois mille ans sur les bronzes sacrificiels chinois, et qui réunit toutes les caractéristiques animales du monde en une seule créature féroce appelé Tao Tie, ou «glouton». Assis sur des flammes ardentes, la bête, avec ses yeux exorbités, lance des regards furieux vers celui qui la regarde, et la bouche grande ouverte, elle montre ses crocs aiguisés comme des couteaux. Une paire d'oreilles ou de cornes surmonte son crâne. Toutes griffes acérées dehors, la bête se tient prête à l'attaque. Aussi effrayante qu'ait pu être cette bête sauvage imaginaire, elle évoquait le mystère et la beauté. Le Tao Tie est un des motifs les plus extraordinaires et les plus originaux ornant les bronzes chinois, et il transmet parfaitement la signification religieuse et rituelle de la vaisselle de bronze.
Les Zhou fabriquaient des bronzes aux motifs de têtes de Tao Tie dévorant des hommes (« avant même d'avoir avalé leurs proies, leur corps était détruit »).
Les masques Tao Tie devinrent très variés sous les dynasties Shang et Zhou. Vus de près, ils ressemblent à un dragon, à un tigre, un bœuf, une chèvre, un cerf, parfois même à un oiseau ou à un homme. Celui semblable à un dragon est formé de deux motifs de profil, de même que pour le bœuf et le tigre.
Le légendaire oiseau Xiao (à grosse tête et petit bec recourbé) est un motif que l'on retrouve souvent sur les bronzes Shang. Il fut certainement un sujet important de la mythologie antique.
Les animaux fabuleux les plus courants sont le dragon et le phénix dont les caractères sont déjà présents dans les inscriptions sur os et carapaces de tortues. Le dragon présente un corps de serpent, une tête coiffée de bois de cerf et quatre pattes à cinq griffes. Celui de la dynastie Shang resta le même, sauf que les bois sont remplacés par des sortes d'antennes appelées « cornes en forme de bouteille ». La plupart des dragons décorés sur bronze présentent ce type d'antennes. Quant au phénix, il est représenté avec une longue queue et une crête, un peu comme un paon.
Le Nao est également un animal mythique, représenté sur les bronzes comme une sorte de dragon sur un seul pied.
Les bronzes zoomorphes des Shang prennent encore la forme du rhinocéros, de l'éléphant et du crocodile. Ces animaux, bien que réels, étaient relativement rares en Chine, si bien qu'on aima à les représenter comme éléments décoratifs.
Le dessin du «glouton» (dynastie Shang) en est le plus frappant exemple : vues de côté, les deux bêtes symétriques et distinctes sont en relief sur le vase; mais lorsqu'on les voit ensemble de face, elles paraissent former une seule bête.
Après la période des Zhou occidentaux, les représentations mystiques disparurent progressivement au profit des motifs de chaînes, d'écailles de poisson et d'ondes. Seuls le dragon et le phénix se perpétuèrent en tant que thèmes principaux pour la décoration de nombreux objets en bronze. Beaucoup de motifs figuratifs furent créés sur la base de ces deux créatures fabuleuses. Par exemple, les motifs écaillés font référence au corps du dragon, et les motifs en anneaux superposés rappèlent les écailles de cet animal.
Les décorations les plus prisées vers le milieu des Zhou occidentaux étaient les figures en lanière, inspirées sans doute d'un dragon à double queue enroulé en « S ».
Les motifs de cigales se rencontrent souvent sur les bronzes Shang et Zhou occidentaux, et même aux Printemps et Automnes, bien que presque méconnaissables.
Le principe de la symétrie fut à ce moment-là rompu au profit de dessins de chaînes ou bandes qui encerclaient le corps de l'ustensile. Après le milieu de la période des Printemps et Automnes (770-476 av. J.-C.), le décor le plus fréquemment utilisé était le dessin en bandes d'animaux géométriques, entremêlés verticalement. Sous la dynastie Shang, le décor de fond utilisé pour compléter le dessin principal était souvent composé de nuages et d'éclairs. A partir du milieu des Zhou occidentaux, les dessins devinrent de plus en plus rares et les jeux de fond tombèrent finalement en désuétude. Après la période des Printemps et Automnes, le décor granulé et d'autres dessins commencèrent à apparaître en jeu de fond. Ils s'employèrent alors à composer avec des traits libres, des dessins pleins de vie et très élaborés dépeignant la société d'alors. Les motifs retraçant les scènes de chasse, de banquet et de bataille témoignent des plaisirs d'ici-bas.
A l'époque des Royaumes combattants, les motifs de « nuages flottants » prirent le dessus. Ces motifs diffèrent de beaucoup de motifs de nuages stylisés, tant par la conception que par la forme. Les nuages flottants sont associés à l'idée d'immortalité qui commença à s'imposer à l'époque. L'influence du taoïsme dans l'Etat de Chu n'est sans doute pas étranger à cela. Ces nuages flottants manifestèrent leur vitalité jusqu'à l'époque des Qin et des Han.
Les techniques utilisées pour exécuter les motifs variés des bronzes allaient des lignes gravées aux décors en relief utilisés dans les premières périodes, dessins en relief profond et dessins de sculpture tridimensionnels, pour arriver finalement aux décors incrustés. Les matériaux employés pour le travail d'incrustation comprenaient l'or, l'argent, le cuivre et la turquoise. Les sujets pouvaient être des animaux accompagnés de formes géométriques entremêlées sur des lignes droites, diagonales et courbes. Tous ces dessins ont été ajoutés à des fins purement décoratives.
Au cours des millénaires, les objets en bronze exposés à l'humidité ou ensevelis sous terre ont subi une altération naturelle, développant sur leur surface une couche de patine. Cette patine a protégé le métal de dommages supplémentaires, et sa couleur, qui peut varier du rouge vif au vert émeraude ou au bleu saphir, ajoute encore à la beauté des vases. Les Chinois aiment particulièrement ce revêtement coloré et c'est pourquoi ils choisissent de le maintenir intact.
Conclusion
Aujourd'hui, on trouve encore la beauté de l'art traditionnel du bronze dans les encensoirs et vaisselles sacrificielles des temples, dans les statues érigées dans les écoles ou dans les pièces décoratives chez les particuliers; tous ces objets ont subi l'influence de l'art des bronzes anciens. Les dessins traditionnels des bronzes sont aujourd'hui une source d'inspiration dans l'architecture, la mode ou encore le mobilier. Voilà une façon de perpétuer l'intelligence et le génie artistique des Chinois de jadis.